Silence. is everything. [free]

Dans chaque église, il y a toujours quelque chose qui cloche
Jacques Prévert

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La pénombre ombrait les lieux. Elizabeth n’aurait su dire si elle aimait ou non cette austérité silencieuse, cette odeur de lin, de pierre et d’encens, cet écho si particulier qui réverbérait chacun de ces soupirs. Les églises étaient pour elle des endroits à part, coupés du monde. Rien n’y était semblable à l’extérieur qu’au dehors; ce jour-là, par exemple, le printemps qui s’éveillait à Londres avait attiré tout le peuple sur ses places, sur les rives de la Tamise, dans les jardins, dans les parcs. L’air avait cette odeur de fleurs et de beaux jours, les fontaines coulaient avec un son cristallin, les cris et les rires des enfants, les conversations des adultes; tout cela se mêlait pour former un tout, une ambiance, tellement agréable, propre à l’arrivée du printemps.
La messe s’était terminée deux heures plus tôt. L’église, qui, elle aussi avait accueilli les Londoniens dans leur moment de recueillement hebdomadaire, était maintenant désertée. Le choc qui saisit Lizzie quand elle pénétra dans la pénombre fut brutal.

En une seconde, tandis que les lourds battants de bois se refermaient derrière elle et que l’obscurité aveuglait ses yeux, elle passa d’un monde coloré, ordinaire, joyeux et animé à cette atmosphère enveloppante. Le silence lui semblait lourd comme une chape de velours. La grandeur de la vieille église, les statues, les vitraux qui ne laissaient passer de la lumière du soleil qu’un éclat bleuté, rendaient l’endroit mystique, impalpable. Le malaise et l’inconfort le disputaient à la sérénité et au calme dans le coeur de Liza. Elle-même était croyante, plus par principe qu’autre chose. Et cette impression d’être seule au monde, le fait d’entendre les bruits de la foule sous forme d’une clameur confuse et assourdie par l’épaisseur des murs; elle ne savait si elle en avait peur où si la recherchait. Mais ce qu’elle aimait, ce qu’elle était venue trouver dans cette église, ancienne, majestueuse, grave et silencieuse, moins pompeuse que les cathédrales où elle se rendait d’ordinaire, mais plus familière, c’était sa version de l’immensité. Sa façon à elle de se faire dépasser par quelque chose d’incommensurable, de divin. Il n’y avait que dans ces moments-là qu’elle sentait qu’elle n’était pas seule à décider de son destin. Que ces moments-là où elle se faisait toute petite, où elle perdait son assurance.

Elle ne pouvait le faire que seule.

Mais voilà, elle ne l’était pas. Elle s’était avancée dans l’allée, les yeux fixés sur l’autel, presque somnambule, puis avait trouvé refuge auprès d’une des vierges sculptées que recelaient les coins cachés sur les côtés de la nef. Elle était silencieuse, invisible pour celui qui rentrait dans l’église. Mais l’écho lui rendait impossibles à ignorer ce bruit des portes qui se referment lentement, lourdement - le même qui l’avait plongée dans l’atmosphère de l’église, quelques minutes plus tôt -, ces bruits de pas.
Avec un peu de chance, on ne la verrait pas. Elle n’avait envie de voir personne. Elle voulait que cette silhouette qui prenait tranquillement le même chemin qu’elle disparaisse. Elle recula, dans l’ombre, derrière la statue.

Spoiler:

y

Mademoiselle ?

Spoiler:

Le coeur est un organe imprévisible. Un arrêt pouvait survenir en une demi-seconde et causer la mort en moins d'une minute. Son battement, régulier et sempiternel, s'accélérait ou ralentissait brutalement, au gré des hormones circulant dans le sang.
En entrant dans le lieu sacré et impénétrable, Eliza avait senti son pouls s'apaiser, tranquille et sourd, devant la puissance céleste et écrasante de l'église endormie. L'odeur, les échos de sa respiration et du bruit de ses pas, le silence renversant avaient calmé aussitôt la circulation rapide de son coeur. Il avait ralenti, mais elle l'avait senti battre, son coeur; chaque battement se réverbérant dans tout son être, chavirant son corps. Et elle avait marché à ce rythme lent le long de la grande allée cernée de bancs de bois sombre, jusqu'à trouver refuge auprès de cette Vierge sculptée qui lui rappelait étrangement sa nourrice. Elle ne se sentait même plus vivante, seulement existante, alors que ses souvenirs se mêlaient à la magie des lieux.
Mais ces bruits de pas, résonnant contre les ogives, avaient brisé ce calme si précaire. Aussi rapidement qu'il avait ralenti, le rythme de son coeur avait accéléré en une chamade folle et incontrôlable. Ses oreilles bourdonnaient de la peur d'être découverte, de l'agacement de voir sa paix intérieure troublée. Elle entendait chaque pulsation si fortement qu'elle était persuadée que l'inconnu, dont elle voyait clairement la silhouette d'homme se découper dans l'obscurité, les entendrait aussi.
Le temps s'arrêta quelques instants. Seules la course effrénée du coeur de Liza et l'avancée paisible du jeune homme dans l'allée subsistaient. Elle le regarda, le devina plutôt, s'agenouiller devant l'autel. Peut-être qu'avec un peu de chance, il ne la remarquerait pas, ferait sa prière sans la remarquer et, son recueillement accompli, quitterait l'église sans l'importuner. Pleine d'espoir, Lizzie recula un peu plus derrière la statue. Les tissus soyeux de sa robe à crinoline, apparat imposant qui venait de faire son apparition à la cour londonienne, se froissèrent au contact de la pierre froide. Retenant son souffle, Lizzie regretta de suivre cette mode ridicule, regretta de n'avoir pas mis une robe simple et sans apprêts. L'ombre agenouillée releva la tête. Paniquée, Eliza tenta maladroitement de se cacher entièrement derrière la Madone. Peine perdue.

«Mademoiselle...?»

Elle n'avait plus qu'à se découvrir. Avançant doucement sur les dalles, Elizabeth parvint jusqu'au jeune homme.

«Elizabeth Camilla Wi...» commença-t-elle. Elle connaissait ces cheveux brun-roux, la couleur changeante de ces yeux. L'étonnement la saisit.

«John...!»

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